Inspirées de
la pratique des moines bouddhistes, les techniques méditatives agissent sur le
fonctionnement et même sur la structure du cerveau, selon de nouvelles études.
Jusqu’à présent, le bénéfice de la
méditation sur le vieillissement avait seulement été suggéré par certains
travaux de la Nobel de médecine Elizabeth Blackburn. Une large étude
américaine, conduite par l’université californienne de Davis sur
100 individus âgés de 24 à 77 ans, vient de fournir un nouvel
argument à cette thèse. Révélée par l’imagerie par résonance magnétique (IRM),
l’anatomie comparée du cerveau de la moitié d’entre eux pratiquant
régulièrement cette discipline a clairement montré une moindre altération de la
matière grise que dans l’autre groupe, étranger à la pratique. Selon les
auteurs de l’étude, l’intensité de la méditation stimulerait les dendrites (le
prolongement filamenteux des neurones servant à conduire l’influx nerveux) et
les synapses (la connexion des neurones entre eux). Cette puissante
sollicitation cérébrale agirait également sur le stress, délétère pour les
cellules. L’équipe a montré que trois mois intensifs de méditation affectaient
significativement l’activité des télomérases, enzymes essentielles à la
protection contre le vieillissement cellulaire.
En dépit des apparences, yeux clos
et position placide, la méditation n’a rien d’une détente. « C’est même tout
le contraire qui se produit dans le cerveau », explique le docteur
Jean-Gérard Bloch, qui a inauguré il y a trois ans un diplôme « médecine,
méditation et neurosciences » à la faculté de médecine de Strasbourg. Il s’agit
pour le sujet de se concentrer sur sa « météo intérieure » : les émotions,
sensations et pensées qui circulent librement dans son esprit. L’exercice
consiste à focaliser son attention sur un objet – sa respiration, une
partie de son corps… – sans se laisser distraire par ses pensées ou des
stimuli extérieurs. Comme c’est impossible, même pour les pratiquants les mieux
entraînés, l’esprit est plus éveillé que jamais pour dompter ce vagabondage
cérébral et ramener l’attention sur l’objet de la concentration.
Mieux gérer
ses émotions
Pendant cette activité, le cerveau
s’échauffe. Sous l’œil d’un IRM fonctionnel, une équipe de l’université Emory
d’Atlanta a mis en évidence qu’il sollicitait successivement quatre réseaux
neuronaux liés à l’attention : d’abord le cortex sensoriel et moteur, puis le
cortex antérieur, puis les régions pariétales, pour finir par le cortex
préfrontal, et ainsi de suite pendant toute la durée de la séance. La
répétition de ce cycle n’est pas sans conséquences. « Nous avons montré que
des exercices intensifs de méditation permettaient de soutenir l’attention et
d’améliorer la vigilance cérébrale », explique Antoine Lutz, du Centre
Inserm de neurosciences de Lyon, l’un des premiers à avoir mené des travaux
d’imagerie sur le cerveau de moines bouddhistes comme Matthieu Ricard. Avec ses
collègues de l’université du Wisconsin, il a mis en évidence que le cerveau des
méditants expérimentés était capable de traiter des stimuli deux fois plus
rapprochés (moins de 300 millisecondes) qu’un cerveau de novice, qui reste
le plus souvent scotché à la première sollicitation.
Plusieurs
formes de méditation :
Pleine
conscience. La plus
facilement accessible. Elle consiste à focaliser son attention sur les émotions
ressenties à l’instant présent pour augmenter sa concentration et évacuer un
léger stress.
Active. Elle implique le corps en conjuguant une activité physique et de la spiritualité. On peut par exemple marcher en se concentrant sur ses mouvements et ainsi dompter ses pensées.
Transcendantale. Associée à un son ou une syllabe qui se répète (un mantra), elle permet une relaxation profonde en faisant le vide en soi pour atteindre un état de plénitude.
Vipassana. Littéralement, c’est « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». Fondée sur la respiration, cette technique ancestrale indienne concentre ses effets sur l’attention.
Active. Elle implique le corps en conjuguant une activité physique et de la spiritualité. On peut par exemple marcher en se concentrant sur ses mouvements et ainsi dompter ses pensées.
Transcendantale. Associée à un son ou une syllabe qui se répète (un mantra), elle permet une relaxation profonde en faisant le vide en soi pour atteindre un état de plénitude.
Vipassana. Littéralement, c’est « voir les choses telles qu’elles sont réellement ». Fondée sur la respiration, cette technique ancestrale indienne concentre ses effets sur l’attention.
En poussant plus loin leurs
investigations, les chercheurs ont découvert que la méditation permettait
également de mieux gérer ses émotions, une capacité qui manque aux dépressifs.
A l’université de Toronto, des psychologues ont fait pratiquer pendant
plusieurs mois des exercices de pleine conscience à des patients qui avaient
connu au moins trois dépressions. « Le risque de rechute a été réduit de
près de 40 % et certains praticiens considèrent aujourd’hui que ce traitement
est au moins aussi efficace qu’une camisole chimique », rapporte Antoine
Lutz.
Car les scientifiques savent
désormais mieux ce qui se produit : dans un article publié en 2013 par «
Frontiers in Human Neuroscience », Catherine Kerr, chercheuse à l’université de
Providence, explique le rôle d’aiguilleur joué par le thalamus, une structure
centrale du cerveau réceptrice des sensations corporelles, dans la distribution
de ses informations au cortex : « Le thalamus transmet les sensations en
adressant à la zone correspondante du cortex des impulsions électriques – les
ondes alpha – dont la fréquence varie en fonction de l’intensité de la
perception. Quand l’esprit se concentre sur une partie du corps, les ondes
baissent sur la zone cible et la sensation augmente alors que, partout
ailleurs, les ondes alpha augmentent et les sensations baissent. » On peut
ainsi apprendre à atténuer la douleur ou à gérer des pensées morbides, comme
c’est déjà le cas dans plus de 200 hôpitaux américains.
Compenser la
fonte de la matière grise
La nouvelle étude des chercheurs
américains sur les changements structurels induits par la méditation suit une
série démarrée en 2005 avec les travaux de Sarah Lazar, du Massachusetts General
Hospital de Boston. Elle avait alors remarqué que le tissu cérébral du cortex
préfrontal gauche impliqué dans les processus émotionnels s’épaississait chez
les pratiquants assidus, au point de compenser chez certains la fonte de la
matière grise due au vieillissement. Plus récemment, ses travaux ont également
montré chez ceux qui méditent un développement plus important de l’hippocampe
(qui joue un rôle de premier plan dans la mémorisation, l’apprentissage, la
vigilance et l’adaptation à son environnement), et au contraire un
rétrécissement de l’amygdale (qui gère les émotions, en particulier nos
réactions de peur et d’anxiété).
Certaines études suggèrent aussi que
la méditation ne modifie pas seulement le cerveau, mais agit aussi sur la santé
cardiovasculaire, la tension artérielle, l’immunité et même notre génome. Une
étude d’Herbert Benson, de l’hôpital général du Massachusetts, a ainsi analysé
le profil d’expression des gènes de 26 adultes avant et après une
formation à la méditation. Son constat a créé la stupéfaction lors du dernier
symposium de « sciences contemplatives » : en quelques semaines d’exercice,
l’expression des gènes associés à la sécrétion d’insuline et aux mécanismes
d’inflammation a significativement augmenté en même temps que la production de
monoxyde d’azote, un gaz vasodilatateur bénéfique au rythme cardiaque.
Une nouvelle
discipline universitaire
Cette année
encore, le diplôme universitaire « Médecine, Méditation et Neurosciences » a
fait le plein : 400 inscriptions ont été enregistrées pour seulement
60 places. « Le thème séduit de plus en plus par son approche
complémentaire dans le contexte cartésien des soins occidentaux », explique
le docteur Jean-Gérard Bloch, qui a créé cette formation à l’université de
Strasbourg en 2012. Pendant deux mois, médecins, psychologues, neurologues,
chercheurs et autres chefs de services découvrent la pratique avec une dizaine
d’enseignants et font l’état des lieux des connaissances scientifiques sur les
liens entre le corps et l’esprit, y compris sous l’angle philosophique. «
Notre ambition est d’inscrire la méditation dans un cadre institutionnel
élitiste pour en promouvoir l’usage et combattre le charlatanisme »,
poursuit le docteur. Plusieurs programmes de recherche sont déjà nés de cette sensibilisation
comme à l’Inserm de Caen, qui a démarré une étude sur la méditation et le
vieillissement. La diffusion de la connaissance passe, aussi, par les futurs
médecins : un module de méditation vient d’être inscrit en troisième année
d’étude de la faculté. Cinquante places sont proposées.
Paul Molga
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